L’accord parental pour accéder aux réseaux sociaux ?

En Utah, aux États-Unis, les mineurs devront bientôt avoir l’accord parental pour se créer un compte sur les applications comme TikTok et Instagram. C’est du moins ce que prévoit une nouvelle loi qui doit considérablement limiter l’accès des jeunes aux réseaux sociaux. Pensée magique ? Dérapage en vue ? Des experts ont des réserves.

De quoi est-il question ?

La législation vise à répondre à une « crise en santé mentale » chez les adolescents, en plus de protéger les jeunes contre la cyberdépendance, le harcèlement et l’exploitation sexuelle en ligne. La semaine dernière, l’Utah a adopté une loi sans précédent pour encadrer l’accès des jeunes de moins de 18 ans aux réseaux sociaux. À compter de mars 2024, les mineurs de cet État devront obtenir l’accord parental pour se créer un compte sur les applications comme TikTok et Instagram. De plus, les parents pourront accéder aux messages de leurs enfants échangés sur la plateforme et décider de bloquer l’accès à leur compte entre 22 h 30 et 6 h 30. Ce n’est pas tout. L’État républicain a approuvé une seconde loi qui empêchera les entreprises technologiques d’utiliser des fonctions susceptibles de créer chez les jeunes une « dépendance » à l’égard de leurs plateformes.

Comment la loi sera-t-elle appliquée ?

C’est la question à 1 million de dollars. La manière dont les nouvelles restrictions seront appliquées n’est pas claire. Facebook requiert déjà l’âge minimal de 13 ans pour s’inscrire sur sa plateforme, mais il est très facile de contourner l’obligation. « Dans la réalité, il n’existe aucune façon de vérifier de façon systématique et crédible l’âge des personnes qui s’inscrivent ou sont actives sur les réseaux sociaux », souligne Pierre Trudel, professeur de droit à l’Université de Montréal. Et l’Utah ajoute une couche de complexité en exigeant des mineurs qu’ils fournissent une autorisation parentale. « C’est un peu de la pensée magique. Ces lois sont souvent symboliques les législateurs les adoptent pour se donner une image de protecteur des enfants », estime le spécialiste du droit du cyberespace.

Qu’en est-il de la vie privée des jeunes ?

C’est l’autre problème. Aussitôt la loi adoptée, des voix se sont élevées pour dénoncer ce qu’elles considèrent comme une menace à la vie privée et à la liberté d’expression des mineurs. Imaginez : des parents contrôlants fouillent dans les discussions privées de leurs adolescents ou les coupent carrément des réseaux sociaux. « Un adolescent presque adulte peut exiger, et à juste titre, qu’on respecte sa vie privée », note M. Trudel. Puis les réseaux sociaux ont aussi du bon. Développer des amitiés, rester informé, connecter avec sa culture : la mesure priverait les jeunes de leur principal outil de communication. Qu’on ne s’y trompe pas : les jeunes trouveront le moyen de contourner les nouvelles restrictions, croit Nina Duque, chargée de cours à l’Université du Québec à Montréal et spécialiste des pratiques numériques chez les adolescents. « Plutôt que d’avoir des pratiques qu’on peut voir et surveiller, ils vont cacher ce qu’ils font et peuvent se mettre dans des situations dangereuses », craint-elle.

Est-ce la bonne approche ?

Selon Nina Duque, l’Utah fait fausse route. Le projet de loi s’en prend à la mauvaise cible en tapant sur les doigts des jeunes, croit-elle. À la place, il faut mieux encadrer les comportements des géants du web et légiférer sur le contenu publié sur les réseaux sociaux. Surtout, les États doivent s’attaquer aux problèmes systémiques et structurels qui se reflètent en ligne. « Ce n’est pas l’usage que font les jeunes des réseaux sociaux qui est au cœur de l’hameçonnage, de la cyberintimidation, du manque de sommeil ou de la sédentarité », avance-t-elle, citant les expériences de vie et la situation familiale comme étant des facteurs plus importants sur le bien-être des jeunes. « Si on s’arrête à cette superficie, à cette première lecture de ce qui se passe, on ne réglera pas le problème, croit-elle fermement. C’est facile de punir les jeunes. Ils n’ont pas de voix. »

Le projet de loi peut-il faire des petits ?

On le voit déjà ailleurs. L’Arkansas a présenté un projet de loi similaire, tandis qu’au Texas, un législateur républicain a proposé d’interdire l’usage de réseaux sociaux à tous les mineurs. Dans les dernières années, plusieurs pays, dont la France et le Royaume-Uni, ont exprimé la volonté de mieux encadrer les activités des enfants en ligne, notamment en leur interdisant l’accès aux sites pornographiques. « Le chaînon manquant est un dispositif efficace et pas intrusif pour attester de l’identité. Il n’y a pas de solution qui émerge à l’heure actuelle », conclut le juriste Pierre Trudel.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.